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La Tunisie et sa «souveraineté nationale» : Postures et impostures

Hier, le ministre de l’Education parlait avec une touchante sincérité de la nécessité de raccorder toutes les écoles de la république au réseau d’eau potable. Parce que, plus de soixante-dix après son indépendance, et tout «souverain» qu’il soit, notre pays – trois mille ans d’Histoire, se gargarisent ses dirigeants – a été incapable, malgré toutes les aides internationales reçues entretemps, de raccorder toutes ses écoles au réseau d’eau potable. On devrait tous, parce qu’on est «souverains», en avoir honte et faire profil bas au lieu de pérorer du haut des tribunes ! (Illustration : selon un rapport de l’Unicef publié en 2020, 21,2% des enfants tunisiens sont pauvres).

Par Ridha Kefi

Des responsables politiques au plus haut niveau de l’Etat et des dirigeants de partis, pouvoir et opposition pour une fois unis, ont lancé d’une même voix des cris d’orfraie pour défendre la «souveraineté nationale» et dénoncer l’«ingérence étrangère» et les «déclarations inacceptables» de responsables américains ayant critiqué l’évolution politique du pays et notamment le référendum sur la Constitution, tenu lundi 25 juillet 2022, dans des conditions critiquables et d’ailleurs critiquées par des pans entiers de la société civile nationale et internationale.

Au-delà des postures populistes au patriotisme douteux, les impostures se poursuivent d’une classe politique qui n’a jamais réellement servi son peuple, et l’a plus souvent desservi et trahi.

De cette «souveraineté nationale» dont on se souvient de temps en temps pour nous en rebattre inutilement les oreilles et berner les citoyens en les berçant de douces illusions, parlons-en !

Un pays vivant sur les miettes de l’aide internationale

La Tunisie, ce pays dont les dirigeants politiques, tous bords confondus, rivalisent de démagogie pour lui exprimer leur incommensurable amour, alors qu’ils auraient mieux fait de le servir avec moins de calculs et plus d’abnégation, a, depuis son indépendance en 1956, vécu sur les miettes de l’aide internationale dans pratiquement tous les domaines. Car que seraient aujourd’hui son armée, sa police, sa santé, son éducation et ses infrastructures vitales sans cette aide, à 80% apportée par les pays occidentaux, Etats-Unis et Union européenne en tête ?

Pour ne pas remuer le couteau dans la plaie, nous n’entrerons pas ici dans les détails de ces aides, car il ne se passe pas une semaine sans qu’un de nos responsables politiques inaugure ou clôture un programme d’aide et se confonde en remerciement pour tel ou tel pays pour les financements apportés, sous forme de don ou de prêt. Et nos médias de rappeler les millions et les milliards dépensés à l’occasion par ces pays pour nous venir en aide.  

A cette classe politique, dont l’arrogance n’a d’égal que l’incompétence, j’aimerai rappeler ici qu’au moment de son indépendance, en 1956, la Tunisie était au même niveau de développement qu’un autre pays qui sortait lui aussi d’une longue nuit coloniale, la Corée du Sud.

Il suffit de comparer le parcours historique des deux pays au cours des sept dernières décennies pour comprendre pourquoi le pays asiatique se trouve aujourd’hui dans le peloton de tête des pays développés, avec des avancées spectaculaires dans des domaines technologiques de pointe, comme l’industrie automobile ou les télécommunications, alors que le pays nord-africain qui est le nôtre continue de faire tout à l’envers pour revenir en arrière et hypothéquer ses rares avancées réalisées au prix de douloureux sacrifices, et qui, aujourd’hui, compte parmi ses généreux donateurs internationaux… cette même Corée du Sud.

On rappellera ici, au passage, que l’aide sud-coréenne à la Tunisie se concentre dans les domaines de la gestion, de la gouvernance et de la lutte contre la corruption, ce qui, en dit long sur le diagnostic – ô combien juste – fait par nos amis coréens.

Que de rendez-vous ratés !

Pourquoi les Sud-Coréens ont-ils avancé alors que nous, nous avons continué à faire du surplace ? La réponse est d’une désespérante évidence : plus pragmatiques et moins démagogiques, humbles et dévoués au service de l’intérêt général, les dirigeants coréens ne se sont pas gargarisés de mots, ont évité les débats idéologiques stérilisants, et préféré l’action aux postures qui créent des confusions et des malentendus et hypothèquent l’avenir.  

Au moment de la naissance de l’Etat nation moderne, la Tunisie avait tout pour réussir un parcours comparable à celui de la Corée du Sud: un dirigeant pragmatique, Habib Bourguiba, réaliste et ouvert et qui a su mettre son pays dans l’orbite du monde libre, évitant les errements de ses pairs moyen-orientaux. Pourquoi n’y est-elle pas parvenue ? Les causes en sont les nombreux rendez-vous que nous avons manqués avec l’Histoire en nous engageant dans de vaines guéguerres pour le pouvoir ?

Souvenons-nous des crises en série que nous avons vécues et qui, à chaque fois, nous faisaient repartir de zéro : l’échec de la politique «socialisante» de Ben Salah, en 1969; l’échec du premier rendez-vous avec la démocratie lors du Congrès du PSD en 1970; le Jeudi noir de 1978; les émeutes du pain de 1984; la banqueroute financière et le premier Programme d’ajustement structurel (PAS) avec le Fonds monétaire international (FMI) en 1986; la dérive autoritaire de Ben Ali, à partir de 2004, qui a hypothéqué les petites avancées enregistrées au cours des années 1990; puis la «révolution» de 2011 qui, au lieu de faire avancer le pays, l’a fait revenir des décennies en arrière.

La classe politique, toutes tendances et toutes générations confondues, doit aujourd’hui avoir honte de son bilan catastrophique, faire profil bas, retrousser les manches et plancher sur les moyens de rattraper tout ce temps perdu.

A en pleurer de rage

Au lieu de pérorer du haut des tribunes et de prendre des postures démagogiques, qui ne servent qu’à berner les populations, dont l’inculture politique n’a d’égal que le cynisme destructeur de leurs dirigeants, cette classe politique ferait mieux d’œuvrer à remettre la Tunisie au diapason des évolutions en cours dans le monde, et non pour accentuer son isolement comme elle s’échine à le faire aujourd’hui au nom d’une «souveraineté nationale» de carton-pâte, qui n’existe réellement que sur le papier, et pour cause, plus de soixante-dix ans après son indépendance, la Tunisie continue à tendre la main à l’aumône internationale pour pouvoir payer les salaires de son administration, la plus nombreuse et la moins efficace au monde, pour faire fonctionner ses hôpitaux, pour réparer ses infrastructures tombées en ruines…

Hier, le ministre de l’Education parlait avec une touchante sincérité de la nécessité de raccorder toutes les écoles de la république au réseau d’eau potable. Parce que, plus de soixante-dix après son indépendance, et tout «souverain» qu’il est, notre pays a été incapable, malgré toutes les aides internationales reçues entretemps, de raccorder toutes ses écoles au réseau d’eau potable. On devrait tous en avoir honte !

Moi, Ridha Kefi, simple journaliste qui couvre l’actualité de son pays depuis quarante ans, j’en pleure de rage.

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