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Saïed n’a pas changé le récit de Washington sur la situation en Tunisie

Le président tunisien Kaïs Saïed a forcément été déçu par sa récente visite à Washington. S’il pensait qu’un voyage aux Etats-Unis aiderait à redorer son image aux yeux de l’Occident, il s’est trompé.

Par Sarah Yeskes *

Le président tunisien Kaïs Saïed a effectué son premier voyage à Washington en tant que président du 13 au 15 décembre 2022 pour assister au Sommet des dirigeants États-Unis-Afrique.

La décision de Saïed d’assister au sommet a été quelque peu une surprise. Car il préfère généralement rester à la maison et il a fait très peu de voyages au cours des trois années de son mandat. De plus, les relations américano-tunisiennes sont gelées alors que l’administration Biden continue de critiquer la prise de pouvoir de Saïed le 25 juillet 2021.

Saïed a désespérément besoin du soutien des États-Unis pour finaliser l’accord de prêt de 1,9 milliard de dollars avec le Fonds monétaire international (FMI), qui a besoin de l’approbation du conseil d’administration dudit Fonds , et pour débloquer des financements étrangers pour aider la Tunisie à surmonter sa situation économique de plus en plus difficile. C’est pourquoi une grande partie de la visite de Saïed semblait viser à changer le récit de Washington sur la situation en Tunisie.

Le FMI a conclu en octobre un accord avec la Tunisie au niveau de ses services et devait voter sur l’accord en décembre, mais ce vote a été supprimé de son  calendrier.

Saïed fait face à une sérieuse opposition interne aux exigences du FMI de la part du principal syndicat des travailleurs, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT). Son gouvernement n’a pas réussi à adopter (à temps, Ndlr) un projet de loi de finances pour 2023 qui réponde au moins certaines des conditions du FMI, telles que la réforme de la masse salariale et du régime de subventions et la privatisation de certaines entreprises publiques. Mais si Saïed pensait qu’un voyage à Washington aiderait à redorer son image aux yeux de l’Occident, il s’est trompé.

Au cours de sa visite, Saïed a non seulement assisté au sommet avec les dirigeants africains, mais a également été l’un des rares dirigeants à avoir tenu une réunion bilatérale avec le secrétaire d’État américain Antony Blinken. Et il a également rencontré le comité de rédaction du Washington Post.

La naïveté du président Saïed

Dans sa discussion avec Blinken, Saïed a fait un exposé aux responsables américains sur l’histoire tunisienne et la constitution américaine, et a parlé de manière incohérente des raisons de la réalisation de son coup d’État réussi l’année dernière. Ce message contrastait fortement avec celui des États-Unis, qui mettait l’accent sur «l’engagement profond envers la démocratie tunisienne et le soutien aux aspirations du peuple tunisien à un avenir démocratique et prospère».

Saïed était naïf en s’attendant à ce que les responsables américains l’accueillent à bras ouverts. Au contraire, lors d’un sommet qui comprenait plusieurs dirigeants contestés pour leur non-respect de la démocratie, la situation de la Tunisie a fourni une opportunité facile aux responsables américains de montrer leurs muscles en matière de promotion de la démocratie.

Lors de sa rencontre avec Saïed, Blinken était accompagné non seulement de la secrétaire d’État adjointe aux Affaires du Proche-Orient Barbara Leaf, mais aussi du sous-secrétaire à la sécurité civile, à la démocratie et aux droits de l’homme Uzra Zeya et au sous-secrétaire d’État adjoint à la démocratie et aux droits de l’homme, qui se sont tous deux rendus en Tunisie après le coup d’État pour souligner l’engagement des États-Unis à ramener la Tunisie sur une voie démocratique. Cela a envoyé un signal fort à la partie tunisienne que la démocratie et les droits de l’homme étaient au centre des relations américano-tunisiennes, malgré les protestations de Saïed, qui ont eu un effet contraire.

Délire et théorie du complot

Le voyage de Saïed visait également, en partie, à contrer ce qu’il décrit comme des «fausses informations» provenant des médias occidentaux concernant sa répression autoritaire. Et lors de sa rencontre avec les rédacteurs du Washington Post, Saïed a blâmé les «forces étrangères» et les «ennemis de la démocratie en Tunisie» sans les nommer pour les malheurs qu’ils ont causés du pays. Plutôt que de reconnaître ses propres échecs face à la crise économique tunisienne et les protestations croissantes contre ses actions, Saïed a fait de vagues allusions à ses ennemis qui minent l’État.

Les États-Unis soutiennent depuis longtemps le peuple et le gouvernement tunisiens dans la construction d’un avenir démocratique et dans la résolution de leurs problèmes économiques et sécuritaires. Pourtant, après cette performance, Saïed revient à Tunis les mains vides, n’ayant fait que convaincre ses interlocuteurs américains que ses actions sont guidées par le délire et la théorie du complot. Il n’a pas réussi à engager ses homologues américains dans un dialogue sur une voie à suivre qui protège à la fois les libertés du peuple tunisien et s’attaque à la crise économique croissante.

En conséquence, les États-Unis continueront probablement à condamner vivement le comportement antidémocratique de Saïed et à faire pression pour réduire l’aide américaine au gouvernement tunisien.

Le 17 décembre, les Tunisiens (devaient élire, Ndlr) des députés pour remplacer ceux que Saïed a limogés, anticonstitutionnellement, à la suite de son coup d’État. Pour Saïed, cela représente un pas de plus sur la voie d’une refonte du système politique tunisien, ramenant les relations américano-tunisiennes à la case départ.

Cependant, à la suite de la visite du président à Washington, il est peu probable que l’administration Biden renonce à ses efforts pour aider le peuple tunisien à ramener le pays sur la voie démocratique qu’il a forgée il y a douze ans.**

Traduit de l’américain par I. B.

* Sarah Yerkes est chercheuse principale du programme Moyen-Orient de Carnegie, où ses recherches portent sur la politique tunisienne.

** Les titre et intertitres sont de la rédaction.

Source : Carnegie.

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