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‘‘La deuxième Fatiha’’ : s’approprier le Coran, depuis la bataille de Siffin jusqu’à nos jours

Si le texte sacré musulman donne lieu dans son interprétation à des «accommodements» depuis 15 siècles, comment s’étonner que le droit profane ou les Constitutions peinent à apporter aux peuples musulmans ce pourquoi ils ont été introduits, l’équité et la justice?

Par Dr Mounir Hanablia

L’islam est-il soluble dans la doctrine des Droits de l’Homme ? Le Professeur Yadh Ben Achour a, comme il en a pris l’habitude, été brillant en traitant ce sujet d’une manière exhaustive, en faisant étalage d’érudition, et, en tant que spécialiste de la philosophie du Droit, d’expertise. Il a éclairé le lecteur en révélant les astuces grâce auxquelles les docteurs de la l’islam se sont accommodé des réalités sans jamais remettre en question la divinité de Loi et le caractère incréé du Coran qui la véhicule. 

L’auteur apporte un éclaircissement nécessaire en exposant les différents cheminements que les penseurs musulmans ont explorés pour introduire le droit positif, les concepts de citoyenneté et d’égalité devant la loi, en accord avec les législations des pays occidentaux, les seules à prétendre se porter garantes contre toutes les formes de discrimination et de tyrannie.

Mais ce livre se conclut sur un terrible constat : le musulman concordiste, celui qui pense que le droit profane est compatible avec la loi de Dieu, vaut à peine mieux que l’intégriste,  dont on a pu apprécier durant dix années les tribulations et les machinations quand il avait dominé un régime qualifié de démocratique, en Tunisie.

Le musulman et les contraintes de l’Etat de Droit

Ainsi ce constat devait s’avérer prophétique, il annonçait en effet l’alliance ultérieure entre les partis Ennahdha et Nidaa. Selon l’auteur, le musulman du for intérieur a encore beaucoup de chemin à faire afin de constituer la masse, qui acceptera sans rechigner les contraintes de l’Etat de Droit.

S’il pense sans doute à juste titre que la doctrine des Droits de l’Homme est la seule à constituer le socle sur lequel se construit la légitimité institutionnelle de l’égalité des sexes, cela est aussi vrai pour la liberté des genres, un sujet éminemment épineux qu’il a de toute évidence évité d’aborder, et qui replace l’ensemble de la question dans le cadre culturaliste, autrement dit relativiste, d’où il a essayé de l’extraire.

Il a aussi argué d’un prix politique à payer dans le monde contemporain pour tous ceux qui clameraient leur critique sur la question, mais évidemment celle qui vient à l’esprit a trait aux griefs de «l’opinion publique internationale» sur la condition de la femme dans les pays musulmans, et à sa tolérance quand les fœtus de sexe féminin sont avortés sur une grande échelle en Chine, ou face aux agressions sexuelles contre les femmes ainsi que les assassinats dont elles sont victimes et qui meublent quotidiennement les rubriques des faits divers en Inde.

Ces pays ne voient pour autant pas leurs cultures décortiquées pour en extraire un principe condamnable, et ceci évidemment n’encourage pas les musulmans modernistes, si tant est qu’il puisse en exister, à se faire les avocats de ce qu’ils considèrent être une arme politique braquée contre leurs pays, même quand leurs convictions relativement à la liberté et l’égalité des sexes ne sont jamais remises en question.

Mais pour souhaiter ne jamais vivre chez les mollahs ou les talibans, on n’en pense pas moins. Et d’autre part ces critiques, quand elles concernent des pays producteurs de matières premières, ne sont jamais suivies d’effets, et cela met en exergue l’étendue de l’ambiguïté occidentale sur la question, autrement dit de sa duplicité.

Il ne faut en effet pas occulter l’Histoire, celle qui avait vu les esclaves noirs des îles être exclus de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen lors de la Révolution Française de 1789, à l’instigation du club colonialiste de Messiac, ou bien la suppression de l’esclavage décrétée en 1794 et laissée à la discrétion des assemblées coloniales locales, être révoquée par Napoléon Bonaparte en 1802, toujours à l’instigation du même lobby colonial, et valoir à la France la défaite à Saint Domingue, l’indépendance de cette île, et la perte de la Louisiane et de la Floride.

L’incapacité des musulmans à entrer dans le modernisme

Certes il est communément admis qu’un Américain, pour peu qu’il ne soit pas un habitant de Harlem ou d’un quelconque ghetto ethnique, ait plus de chances d’obtenir justice dans son pays ou dans un quelconque autre pays occidental qu’un Tunisien, un Algérien ou un Marocain, au Maghreb.

Plus que cela, si les jeunes risquent leur vie aujourd’hui pour traverser la Méditerranée du sud vers le nord, c’est aussi au-delà des impératifs économiques parce qu’ils sont convaincus qu’ils obtiendront justice dans leurs terres d’asile plus facilement que dans leurs patries.

Pour conclure, tout ce qui assure la protection de la personne humaine et le respect de ses droits, ses biens, et sa dignité est un progrès indiscutable pour l’ensemble de l’humanité même si ces droits sont de plus en plus remis en question au nom des contraintes financières et des impératifs sécuritaires.

Néanmoins, dans un contexte international déterminé, l’imposition de normes économiques sociales émanant de pays plus puissants ne va pas forcément de soi, et pour beaucoup elle mine la résistance des pays les plus faibles qui bien souvent se résume dans la culture, dont le fondement en islam se situe dans le verbe divin.

Mais si le texte sacré ainsi qu’on l’apprend donne lieu dans son interprétation à des «accommodements» depuis 15 siècles, comment s’étonner que le droit profane ou les Constitutions peinent à apporter aux peuples musulmans ce pourquoi ils ont été introduits, l’équité et la justice?

S’il y a une incapacité atavique des musulmans à entrer dans le modernisme, ainsi qu’ils en sont régulièrement accusés par leurs adversaires, c’est peut-être à ce niveau là qu’il faut la rechercher. 

* Médecin de libre pratique.

‘‘La deuxième Fâtiha : L’islam et la pensée des droits de l’homme’’, essai de Yadh Ben Achour, éd. Presses Universitaires de France, Paris, 2011, 198 pages.

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