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‘‘Vacances à la cité Ennour’’ d’Habib Selmi ou le désir demeuré désir

Dans son dernier roman « Vacances à la cité Ennour », Habib Selmi déploie un miroir reflétant l’état de la société tunisienne d’aujourd’hui, coincée entre deux mondes (Orient et Occident) et deux époques (un passé nébuleux et un avenir incertain), et qui s’empêtre dans ses contradictions et ne parvient pas à se libérer de ses démons qui s’appellent, tour à tour, sexualité, religion et politique, les trois thèmes principaux de toute œuvre romanesque.

Par Ridha Kefi

Dans leur diversité et leur richesse, les romans d’Habib Selmi se ressemblent beaucoup. Et ce n’est pas là un défaut, loin s’en faut, mais une qualité prouvant que nous sommes en présence d’un auteur qui a son style, son univers et, pour ainsi dire, sa touche personnelle à nulle autre pareille.

Dans son dernier roman publié récemment par son éditeur attitré, Dar Al-Adab, à Beyrouth, ‘‘Vacances à la cité Ennour’’, on retrouve le style, l’univers et la touche qui nous sont devenus familiers dans l’œuvre de Selmi, laquelle compte onze romans et deux recueils de nouvelles, publiés entre 1978 et 2023.

Ces éléments – le style, l’univers et la touche personnelle – sont cependant déployés dans un nouveau récit qui surprend par sa tonalité intimiste, l’originalité des personnages qui le portent et la complexité des rapports qu’ils entretiennent entre eux, avec le milieu social où ils se meuvent et l’atmosphère de l’époque qui est la leur et qu’ils tentent d’appréhender, chacun selon son histoire, ses motivations et ses repères socioculturels. Ils sont si différents et si semblables à la fois, et ce qui les éloigne, à savoir les préjugés, les partis-pris et les attentes déçues, finissent toujours par les rapprocher sinon les unir dans une sorte de combat contre les obstacles de toutes sortes que la société met sur leur chemin. Ils sont tous, à divers degrés, aliénés, insatisfaits et inaccomplis.

Une société bloquée

Cette configuration se retrouve dans tous les romans de Selmi, et le dernier en date, ‘‘Vacances à la cité Ennour’’, ne déroge pas à la règle. Le narrateur, Adel, traducteur interprète vivant à Paris, où il est marié à une Française, Sophie, retourne en Tunisie, son pays natal, pour y passer de courtes vacances. Natif d’un village des envidons de Kairouan, il avait fait ses études supérieures dans la capitale où il avait noué ses premières relations d’adulte, avant d’opter pour l’exil en France. Et c’est donc à Tunis qu’il choisit de passer ses vacances, dans un quartier populaire où il loue un appartement meublé, car il ne vient pas pour faire du tourisme et se prélasser au soleil sur quelque plage de Hammamet, Sousse, Monastir ou Djerba, mais pour aller à la redécouverte de son pays, dix ans après une révolution qui n’a apporté jusque-là que désespoir et déception à tous ceux et celles qui y ont cru.

C’est ainsi que le narrateur va à la rencontre du petit microcosme social où il a atterri, un gardien d’immeuble, Abdallah, son épouse pieuse mais pas trop, Zeineb, sa cousine Souad, une séductrice qui épouse un homme riche qu’elle trompe sans regret, Lamia, l’ancienne connaissance croisée à l’université devenue journaliste, qu’il tente de séduire, mais ne parvient pas à sonder les sentiments ambigus et contradictoires qu’elle nourrit à son égard, ou encore le jeune épicier, amis des chiens, revenu d’un court exil en France et qui n’a qu’un rêve : y retourner pour y refaire sa vie, car il n’y a plus d’horizon pour les jeunes dans un pays en perdition.

A travers ces personnages, et d’autres qu’il rencontre au gré de ses déplacements, Adel tente de sentir et de comprendre les changements que ladite révolution, les espoirs qu’elle a nourris et le désenchantement qu’elle semble inspirer désormais à ceux et celles qui l’ont faite ou qui l’ont subie.

‘‘Vacances à la cité Ennour’’ oscille entre deux genres : le journal d’un retour au pays, au plus près de la réalité telle qu’elle est vécue, au jour le jour, et le roman proprement dit où l’imaginaire prime dans le déploiement du récit, le développement des intrigues et la construction des personnages, mais chaque parole dite, chaque mot tu et chaque geste esquissé ou acte manqué sont pour le narrateur (ici le double de l’auteur, Adel étant l’alter-égo de Habib) devient une occasion pour réfléchir sur le devenir d’une société en perte de repères et qui se cherche dans le tâtonnement d’une interminable et harassante quête de soi. Aussi, le personnage principal du roman se révèle-t-il être, à la fin, ce pays-là, ses errements politiques, les espoirs déçus de ses enfants et son interminable transition démocratique à laquelle manque l’essentiel, à savoir la liberté de l’individu, sa prospérité  et son accomplissement. Cette immense frustration, on la sent dans la manie qu’ont les personnages de s’épier les uns les autres, en s’interrogeant sans cesse sur leurs inavouables motivations, leurs partis-pris personnels, la précarité de leur situation et la futilité de leurs croyances et leurs convictions.

Sexualité, religion et politique

Les personnages de Selmi semblent animés d’un irrépressible désir d’émancipation, tout en restant entravés par les contraintes sociales, parfois même désirées et assumées, baignant dans une sorte d’hypocrisie ambiante. Et c’est toujours le corps que l’on brime et le désir que l’on réprime, chez Adel comme chez Abdallah, Zeineb, Souad, Lamia et les autres, le roman étant, au final, l’expression d’une profonde frustration partagée.

‘‘Vacances à la cité Ennour’’ est une sorte de miroir reflétant l’état d’une société tunisienne qui, coincée entre deux mondes (Orient et Occident) et deux époques (un passé nébuleux hypothéquant un avenir incertain), s’empêtre dans ses contradictions et ne parvient pas vraiment à se libérer de ses démons qui s’appellent, tour à tour, sexualité, religion et politique, les trois thèmes principaux de l’œuvre romanesque de Selmi. De toute œuvre romanesque.

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