Né en 1912 à Cayenne (Guyane), le poète Léon-Gontran Damas est co-fondateur du mouvement de la négritude à côté de Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire. Dénonçant très tôt le colonialisme avec virulence, sa poésie est un vrai cri de révolte solidaire de l’être Noir. Il décède en 1978.
Quelques recueils : Pigments, 1937; Poèmes nègres sur des airs africains, 1948; Black-Label, 1956 (Gallimard); Solde, 1972.
Tahar Bekri
Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude
Sous la glace et la mort
Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes, votre
Frère de sang ?
Je ne laisserai pas la parole aux ministres, et pas aux généraux
Je ne laisserai pas-non !-les louanges de mépris vous enterre
Furtivement.
Vous n’êtes pas des pauvres aux proches vides sans honneur
Mais je déchirerai le rire banania sur tous les murs de France.
Car les poètes chantaient les fleurs artificielles des nuits de
Montparnasse
Ils chantaient la nonchalance des chalands sur les canaux de
Moire et de simarre
Ils chantaient le désespoir distingué des poètes tuberculeux
Car les poètes chantaient les rêves des clochards sous l’élégance
Des ponts blancs
Car les poètes chantaient les héros, et votre rire n’était pas
Sérieux, votre peau noire pas classique.
Ah ! ne dites pas que je n’aime pas la France- je ne suis pas
La France, je le sais-
Je sais que ce peuple de feu, chaque fois qu’il a libéré ses mains
A écrit la fraternité sur la première page de ses monuments
Qu’il a distribué la faim de l’esprit comme de la liberté
A tous les peuples de la terre conviés solennellement au festin
Catholique.
Ah ! ne suis-je pas divisé ? Et pourquoi cette bombe
Dans le jardin si patiemment gagné sur les épines de la brousse ?
Pourquoi cette bombe sur la maison édifiée pierre par pierre ?
Pardonne-moi Sira-Badral, pardonne étoile du Sud de mon sang
Pardonne à ton petit-neveu s’il a lancé sa lance pour les seize
Sons du sorong.
Notre noblesse nouvelle est non dominer notre peuple, mais
D’être son rythme et son cœur
Non de paître les terres, mais le grain de millet
De pourrir dans la terre
Non d’être la tête du peuple, mais bien sa bouche et sa trompette.
Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes, votre
Frère de sang
Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude,
Couchés sous la glace et la mort ?
Paris, avril 1940
Hosties noires, 1948
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