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Syrie : une course à l’influence entre l’Arabie saoudite et la Turquie

Les États arabes du Moyen-Orient et en premier lieu desquels l’Arabie saoudite entendent jouer un rôle dans la Syrie post-Assad et leur implication a commencé dès le lendemain de la chute du dictateur. La Jordanie, même si elle n’a pas les moyens du richissime voisin saoudien, a entamé une relation dynamique avec le nouveau pouvoir islamiste en place à Damas. Bien que ce pouvoir ne soit pas de leur goût, ces pays sont dans une attitude pragmatique car ils n’entendent pas livrer la Syrie à la seule influence turque. 

Imed Bahri

L’Arabie saoudite et d’autres pays arabes sont dans une course avec la Turquie pour gagner en influence dans la nouvelle Syrie post-Assad, affirment Benoit Faucon et Summer Said dans une enquête sur ce sujet publiée par le Wall Street Journal.

Ces pays cherchent tous à influencer le nouveau gouvernement en Syrie espérant obtenir un avantage sur leurs rivaux dans ce pays qui jouit d’une situation stratégique.

Malgré les doutes qu’ils nourrissent sur le passé djihadiste des nouveaux dirigeants de la Syrie, l’Arabie saoudite travaille aux côtés de la Jordanie pour accélérer l’acheminement de l’aide humanitaire et de l’énergie à la population syrienne épuisée par la guerre. Les deux pays espèrent ainsi atteindre deux principaux objectifs stratégiques : stopper les flux de drogue (Captagon) et de combattants extrémistes à travers la frontière syrienne et contrer l’influence de rivaux régionaux comme la Turquie et l’Iran.

Le journal américain cite Fabrice Balanche, expert de la Syrie et professeur à l’Université Lyon 2 en France, qui déclare: «Les gouvernements de la région sont préoccupés par la tendance islamiste des nouveaux dirigeants en Syrie mais aussi par leur popularité qui pourrait avoir un effet contagieux néfastes auprès de leurs populations». Le chemin que prendra l’État après la chute rapide du régime de Bachar Al-Assad aura, en effet, nécessairement, des répercussions sur la région.

Une zone de guerre par procuration

Les puissances étrangères ont joué un rôle dans la guerre civile syrienne qui a duré 14 ans notamment les parrains de l’ancien président, les Russes et les Iraniens, qui ont soutenu un certain nombre de factions armées pour protéger leurs intérêts et faire avancer leurs programmes transformant la Syrie en une zone de guerre par procuration.

La Ligue arabe a suspendu l’adhésion de la Syrie peu après le déclenchement de la révolution en 2011 mais l’Arabie saoudite a mené des efforts ces dernières années pour renouer ses relations avec l’ancien régime.

Dans le vide post-Assad, les nouvelles puissances arabes ont proposé d’aider à la reconstruction et à la réduction des pénuries alimentaires et énergétiques, des mesures motivées par plus que de la charité ; estiment les analystes.

Ces derniers jours, l’Arabie saoudite a ouvert un pont aérien et terrestre humanitaire vers la Syrie livrant de la nourriture, des tentes, des équipements et des fournitures médicales pour les hôpitaux. Elle a également proposé de former et d’équiper la police civile locale et de remplacer les approvisionnements en pétrole iranien sanctionnés pour aider à atténuer la crise énergétique dans le pays, des propositions qui sont toujours en discussion.

Danser avec les loups islamistes

Hayat Tahrir Al-Sham (HTS) était une branche d’Al-Qaïda, groupe terroriste qui cherchait à renverser la famille régnante saoudienne et a commencé à attaquer directement le pays en 2003. Le groupe a déclaré avoir renoncé à ses liens avec les djihadistes d’Al-Qaïda.

De nombreux pays arabes dont l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis craignent cependant une résurgence de groupes islamistes tels qu’Al-Qaïda, les Frères musulmans et l’État islamique au Moyen-Orient.

Ces pays cherchent à empêcher la propagation de l’islam politique dans la région depuis que les soulèvements du Printemps arabe en 2011 ont renversé des dirigeants laïcs en Tunisie, en Égypte et en Libye. Dans certains cas, des groupes islamistes ont comblé ce vide notamment les Frères musulmans en Égypte qui ont ensuite été renversés par l’armée. Dès lors, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont investi des milliards de dollars pour soutenir le président Abdelfattah Sissi.

Le chef de HTS, Ahmed Al-Charaa, connu sous le nom d’Abou Mohamed Al-Joulani, était un djihadiste anti-américain en Irak. Il a renoncé à l’extrémisme djihadiste depuis des années et s’est engagé à respecter la diversité ethnique et religieuse de la Syrie tandis que son groupe cherche une reconnaissance internationale ainsi que de l’argent pour reconstruire le pays, revitaliser l’économie et aider à l’installation de millions de réfugiés de retour au pays.

Le chemin de Damas

Le nouveau ministre syrien des Affaires étrangères a choisi l’Arabie saoudite comme destination de son premier voyage à l’étranger la semaine dernière avant de se rendre dans d’autres pays arabes dont le Qatar, les Émirats arabes unis et la Jordanie.

Cependant, la Turquie entretient des relations étroites avec HTS et d’autres groupes opposés à Assad ce qui donne à Ankara un avantage comparatif sur les autres pays de la région y compris l’Arabie saoudite.

Quelques jours après la fuite d’Assad en Russie, la Turquie a envoyé une délégation diplomatique et commerciale à Damas exprimant son désir d’aider à reconstruire le pays et son secteur énergétique. La Turquie est désormais en position de force pour exercer une pression sur les milices kurdes qui s’opposent à elle en Syrie et elle dispose d’une large plateforme pour projeter sa puissance dans la région.

Selon les analystes, l’Arabie saoudite, qui a perdu la course contre l’Iran dans l’Irak post-Saddam Hussein, tente d’utiliser l’aide humanitaire pour contrer Ankara en Syrie. «L’objectif de l’Arabie saoudite est de contrebalancer le rôle important de la Turquie dans la nouvelle Syrie», a déclaré Fawaz Gerges, professeur de relations internationales à la London School of Economics. Il a ajouté que Riyad souhaite également s’assurer que la Syrie ne retombe pas dans la violence et les troubles sociaux qui menaceraient la stabilité régionale.

Le Qatar, très proche de la Turquie d’Erdogan avec laquelle il a constitué l’Axe Ankara-Doha lors de la précédente décennie, soutient depuis longtemps les groupes opposés à Assad et a choisi de ne pas rejoindre l’Arabie saoudite et d’autres États arabes lorsqu’ils ont repris leurs relations diplomatiques avec la Syrie en 2023.

Des responsables du Moyen-Orient ont déclaré que Doha était en pourparlers avancés avec le nouveau gouvernement du pays pour fournir une assistance énergétique et financière. Qatar Airways a été la première compagnie aérienne internationale à reprendre mardi ses vols commerciaux vers Damas après une interruption de 13 ans.

La Jordanie malgré ses propres problèmes économiques a proposé de fournir de l’électricité à la Syrie et est en pourparlers pour élargir ses relations avec le nouveau gouvernement syrien.

Toutefois, tous les pays ne se précipitent pas vers Damas et son nouveau gouvernement. Les Émirats arabes unis ont accueilli la délégation syrienne cette semaine mais n’ont pas proposé publiquement d’aide économique.

Des inquiétudes persistent

Le WSJ fait référence aux déclarations d’Anwar Gargash, conseiller diplomatique du président des Émirats arabes unis, en décembre, dans lesquelles il a exprimé son inquiétude quant aux racines islamistes des nouveaux dirigeants et à leurs liens avec des organisations extrémistes. «Si des éléments extrémistes parmi les factions dominent le gouvernement, cela nous conduira à une nouvelle crise dans la région», a-t-il déclaré.

Les pays occidentaux ont exprimé leur prudence quant au fait que la voie empruntée par les nouveaux dirigeants islamistes pourrait entraver la levée des sanctions ou le retrait de HTS de la liste des groupes terroristes même si l’administration Joe Biden a annoncé l’assouplissement de certaines restrictions sur l’aide humanitaire destinée à la Syrie pendant six mois.

Les États-Unis ont également annulé la récompense de dix millions de dollars offerte pour la capture d’Ahmed Al-Charaa après que ce dernier s’est engagé à ne pas menacer les États-Unis et leurs alliés. Cependant, la plupart des sanctions américaines contre la Syrie restent en vigueur. Les Nations Unies et d’autres organisations ont déclaré qu’il n’y avait aucun plan immédiat pour lever les sanctions contre Ahmed Al-Charaa et HTS ajoutant que de telles décisions dépendraient du degré de démocratie et d’inclusion du nouveau régime.

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