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Quand Trump ressuscite la peine collective — et qu’un juge tente de sauver le droit

En un seul geste, Donald Trump a ramené la justice américaine deux siècles en arrière, en décidant l’expulsion de la femme et des cinq enfants du suspect avant même que la justice ne dise son mot sur l’affaire. En cherchant à punir «préventivement» la famille d’un suspect, sans démonstration de leur implication, le chef de l’exécutif américain foule aux pieds un principe fondateur du droit moderne : nul ne peut être tenu responsable des actes d’autrui. (Ph. Le suspect Mohamed Sabry Soliman/ Sa fille aînée Habiba Soliman).

Khemaïs Gharbi *

Le 1er juin 2025, Mohamed Sabry Soliman, ressortissant égyptien de 45 ans, est arrêté au Colorado après avoir lancé des engins incendiaires sur les participants à un rassemblement hebdomadaire en soutien aux otages israéliens retenus par le Hamas dans la bande de Gaza. Immédiatement qualifié d’«attaque ignoble» par les autorités, l’acte déclenche une vague d’indignation. Mais c’est la réaction des plus hautes sphères de l’exécutif qui provoque un véritable séisme juridique.

Dans les heures qui suivent, la famille entière de Soliman — son épouse, Hayam Salah Alsaid Ahmed Elgamal, 41 ans, et leurs cinq enfants, est arrêtée par les services de l’immigration. Sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux à ce stade, l’administration Trump annonce leur expulsion imminente. La Maison Blanche publie même sur son compte X un message glaçant : «Six allers simples pour la femme et les cinq enfants de Mohamed». La ministre de la Sécurité intérieure, Kristi Noem, justifie cette mesure par une enquête en cours : «Nous voulons savoir ce que sa famille savait de cette attaque et s’ils y ont participé.»

Mais cette présomption diffuse, sans preuves ni inculpation, ne convainc pas la justice. Le lendemain, un juge fédéral du Colorado suspend l’expulsion «jusqu’à nouvel ordre», interdisant tout déplacement des membres de la famille hors de l’État ou des États-Unis, tant qu’un jugement n’a pas été rendu.

Mohamed et Hayam ont 5 enfants, 3 filles et 2 garçons. L’aînée, Habiba, âgée de 18 ans, a expliqué que la famille avait déménagé aux Etats-Unis parce qu’elle ne pouvait pas suivre des études de médecine au Koweït.

Le droit américain piétiné en direct

Au-delà de l’émotion légitime provoquée par l’attaque, c’est une question fondamentale qui est posée : celle de la responsabilité individuelle. En cherchant à punir «préventivement» la famille d’un suspect, sans démonstration de leur implication, l’exécutif américain foule aux pieds un principe fondateur du droit moderne : nul ne peut être tenu responsable des actes d’autrui.

Ce principe n’est pas une abstraction. Il est l’un des piliers historiques du droit américain, affirmé dès la Révolution de 1776, consolidé dans la Constitution de 1787 et le Bill of Rights de 1791. Il marque une rupture avec les pratiques du droit colonial britannique, où les familles pouvaient être collectivement punies. Tout au long du XIXe siècle, les États-Unis ont renforcé ce socle :

• en limitant les peines collectives;

• en exigeant un procès équitable pour chaque accusé;

• et en ancrant la responsabilité pénale dans les actes individuels, et non dans les appartenances ou les liens familiaux.

Une dérive qui inquiète jusque dans les rangs républicains

Si la mesure a suscité les applaudissements des cercles trumpistes les plus radicaux, elle a provoqué malaise et inquiétude jusque chez certains juristes conservateurs, attachés à la tradition constitutionnelle américaine. Car il ne s’agit pas d’une simple expulsion administrative, mais bien d’un précédent grave : punir une femme et cinq enfants pour un acte qu’ils n’ont, à ce jour, ni commis ni aidé.

En agissant ainsi, le président Trump ne protège pas le droit américain : il le tord, le dénature, et l’exhibe comme un instrument de vengeance collective, au mépris de la justice individualisée que les États-Unis ont toujours prétendu incarner.

Une décision suspendue, mais pas encore annulée

Grâce à la décision conservatoire du juge fédéral, la famille Soliman reste pour l’heure protégée. Mais la menace demeure. Et au-delà de ce cas précis, une question plus large se pose : que reste-t-il de l’État de droit lorsque l’émotion politique prime sur les principes juridiques ? Que devient la démocratie lorsqu’un tweet peut valoir sentence ?

En un seul geste, Donald Trump a ramené la justice américaine deux siècles en arrière. Il faudra bien plus que l’intervention d’un juge pour éviter qu’elle n’y reste.

* Traducteur et écrivain.

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