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Nouvelle : ‘‘La dame de la ville’’ de Abdelkader El Haj Nasr

Abdelkader El Haj Nasr, né en 1946 à Bir El Hfay (Sidi Bouzid), est un écrivain tunisien à l’œuvre importante et prolifique. Romancier, nouvelliste, dramaturge, essayiste, auteur de séries pour la télévision, homme de radio et journaliste, il a occupé de hautes fonctions administratives et a été enseignant universitaire. Dernière publication en arabe, un roman intitulé ‘‘Nuages blancs, comme ils sont loin’’ (éd Arabesques).

Traduite de l’arabe par Tahar Bekri

Un matin, sur l’un des trottoirs de la ville de Gafsa que j’adore, la ville, où il n’est pas permis de descendre dans mon lieu de naissance, Bir El-Hfay, sans marcher dans ses avenues et ses rues et me remémorer quelques souvenirs qui me tiennent à elle depuis mon jeune âge.

Il n’est pas permis de passer une nuit à Gafsa, sans me réveiller tôt, avant l’appel à la prière du matin, d’une heure, me préparer pour aller prier dans la mosquée d’Ibn Yaâkoub, au centre ville, puis m’arrêter quelques minutes devant un vendeur de lablabi, manger lentement un bol de pois-chiches garni d’un œuf mollet et d’une bonne dose d’huile d’olive, dont je ne doute pas qu’elle soit pure comme les soleils de la ville et ses astres. En dépit de cela, pardon, propriétaire de lablabi, avec ma bédouinité authentique, je doute de tout, les positions mensongères à l’égard des Gazaouis ont pris toute ma bonté, mon innocence, ma naïveté, la pureté de mes intentions, mon arabité et ma confiance dans le gouvernant, sa cour et ses partisans.

J’ai quitté le centre ville et me suis dirigé vers le quartier de Sidi Ahmed Zarrouk où je m’assois, chaque fois que je visite Gafsa, en compagnie du grand romancier Abbas Slimane dans un café proche – pardon si je féminise tous les noms des cafés et ne les garde pas au masculin, par un entêtement qui est dans ma nature -. Sur la voie, j’ai vu des lumières et un panneau, mon intuition bédouine me poussa à m’arrêter devant une salle de thé moderne, meublée de la plus belle manière, dont le plafond est décoré artistiquement et avec nouveauté

J’ai décidé de prendre mon café dans cette salle.

Je suis revenu vers ma voiture lui cherchant un endroit sûr. Je me suis mis à regarder dans tous les sens, de peur des gardes nationaux ou que la police municipale ne l’emporte vers la fourrière.

Soudain, me parvint une voix chaude, fine, me présentant un salut matinal, je me suis retourné. Comme le matin à Gafsa devant le salon de thé est magnifique !

Mes excuses, lettrés et poètes, j’aurais voulu rendre masculin la salle de thé puisque j’ai féminisé le café. Mais j’ai eu honte de mon arrogance vis-à-vis de la réalité de notre belle langue arabe.

Elle me dit : «J’ai voulu vous aider quand je vous ai vu, perdu.»

Je lui dis : «Oui, je suis égaré dans la ville que j’aime, je cherche un lieu sûr pour ma voiture. Aidez-moi, si vous êtes Gafsienne, de Gafsa.» Elle me dit avec un ton pudique, féminin, qu’elle était de Sidi Bouzid et qu’elle travaillait dans l’une des usines à Gafsa, ici, qu’elle connaissait les entrées et les sorties de la ville.

– Vous devez laisser votre voiture là où elle est, la sécurité est réelle ici, nous ne sommes pas au Quartier de l’olivier, à Gaza.

J’ai hésité, alors qu’elle s’apprêtait à partir et j’ai réalisé avec mon sens bédouin et l’expérience de l’écrivain qui a passé sa vie déambulant dans les avenues et les rues de la capitale, que cette dame souhaitait que je l’invite à prendre un café matinal. Mais que faire et le désir maudit d’écrire chez moi m’étouffe? Je n’ai pas osé partir avant qu’elle ne parte. Car il me reste encore de la pudeur des bédouins.

Pendant les quelques instants où j’hésitais, je l’ai regardée, elle me laissa la liberté de promener mon regard sur ses traits. Belle comme une statue de cire, épanouie comme une rose, les traits remuants comme ceux d’un oiseau déployant ses ailes et les ramenant à la vitesse du vent, ses yeux, une vague courant après l’autre, sur sa lèvre, une léger frémissement continu comme la surface de l’eau que caresse une brise passagère, deux joues comme deux grenades coupées en deux.

Avec insolence, j’ai rassemblé ses traits sur une toile, traits sur lesquels le créateur a veillés, plus même, il a plongé. Je suis un écrivain contraint, par la médiocrité de certains gouvernants et leur manque de pudeur, à rompre avec l’élégance. J’ai appris à insulter, à maudire, à accuser et à faire des satires, à porter un couteau que je pourrais planter dans la poitrine de tout traitre qui croiserait mon chemin.

Comme la trahison est amère et horrible !

La dame me tira de ma perplexité quand elle sourit :

– Ne vous étonnez-pas, monsieur, si vous avez tiré des conclusions à mon sujet, elles sont fausses, de pures illusions, mon tort est que je me sois libérée des chaînes, d’une autre manière, plus moderne, je suis divorcée. Dès que j’ai porté la robe de mariage, je l’ai enlevée et j’ai recouru à la séparation. C’est pourquoi, je ne trouve aucune gêne à parler à un passant, quand cela me paraît nécessaire. Que faites-vous dans la vie ?

– Je pratique l’agression sur les autres, je vole leurs caractéristiques, les enregistre sur le papier puis les diffuse parmi les gens, sans demander ni rémunération, ni récompense, ni remerciement, madame, vous êtes plus belle qu’une rose dans le jardin d’un gouvernant arabe, comment votre mari s’est il séparé de vous?

Un signe de mauvaise humeur se dessina sur ses traits :

– C’est moi qui l’ai répudié. J’ai détesté dans sa forme et son contenu, tous les hommes. Je l’ai vu s’intéresser aux festivités du mariage, plongé dans ses futilités, jusqu’à éteindre le poste de télévision, afin de ne pas voir les fleuves de sang qui coulent à Gaza, Je l’ai détesté, j’ai détesté son odeur et l’odeur de ses semblables ? Elle me tendit sa main pour me saluer puis se retourna et partit.

Le geste de dégoût, qui a empreint ses lèvres et ses yeux, marqua mon esprit, et s’imprima l’image d’une très belle femme, très révoltée. La femme née dans le pays qui l’a couvée chaleureusement et qui a refusé d’enfanter des semblables qui éteignent la télévision pour s’enfoncer dans le plaisir du corps et rien d’autre.

(Remerciements à l’auteur)

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