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Que dit l’affaire Epstein de l’élite américaine ?

Des courriers électroniques (emails) récemment déclassifiés, issus des archives du financier décédé Jeffrey Epstein, condamné pour agressions sexuelles sur mineurs et resté jusqu’au bout imbriqué aux cercles du pouvoir américain, révèlent un monde occulte où convergent les intérêts des élites politiques, financières, intellectuelles et culturelles des États-Unis. Un microcosme qui vit en vase clos, dont les membres se cooptent, se rendent service pour se maintenir au sein de cette classe dirigeante et dominante et où l’entre-soi règne en maître. 

Imed Bahri

Dans une analyse publiée par le New York Times, Anand Giridharadas soutient que les milliers de mails rendus publics dressent un tableau plus large et plus inquiétant d’un système élitiste trans-institutionnel qui a permis à Epstein de retrouver une position de pouvoir après sa première condamnation et sa première incarcération en Floride pour abus sexuels sur mineurs en 2008 et a contribué à ancrer une culture tolérant les préjudices et les inégalités lorsque cela sert ses intérêts. 

Selon le NYT, ces messages contenaient les noms de personnes ayant correspondu avec Epstein, parmi lesquelles des universitaires de renom, des diplomates chevronnés, des milliardaires, d’anciens responsables gouvernementaux, des personnalités médiatiques, des philosophes, des écrivains, des scientifiques et des figures de proue des secteurs des affaires et de la technologie.

Giridharadas met toutefois en garde contre le caractère trompeur de cette liste. Il soutient que la grande majorité de ces personnes ont, pendant des décennies, fermé les yeux sur d’autres maux graves, des crises financières successives aux guerres ratées, en passant par l’érosion du contrat social, les catastrophes technologiques et le creusement des inégalités sociales.

Une cécité sélective

Dans ce contexte, Giridharadas, journaliste américain, estime que le fait de passer sous silence les crimes d’Epstein n’est qu’un maillon de plus d’une longue chaîne de «cécité sélective» qui caractérise les agissements de cette élite.

Selon lui, l’expression «classe Epstein» , forgée par le député Ro Khanna, n’est ni une description simpliste ni une incitation à la lutte des classes, comme certains le prétendent, mais bien un diagnostic précis d’une classe dirigeante opérant au sein d’un réseau interconnecté reliant hommes d’affaires, politiciens, universitaires, personnalités médiatiques, diplomates et financiers.

D’après ces mails, cette classe partage des incitations et des comportements fondés sur l’échange d’influence, la protection de l’image de soi et l’octroi d’opportunités répétées à ses membres, tout en privant de larges pans de la société de toute possibilité d’ascension sociale.

Les mails révèlent une grande diversité idéologique parmi les correspondants. Cependant, l’auteur soutient que cette diversité masque une unité plus profonde et fondamentale : ils appartiennent tous à une élite transnationale, grands voyageurs, qui trouvent dans le mouvement constant un terrain d’échange d’influence et d’intérêts.

L’auteur les décrit comme une classe experte dans la transformation du capital intellectuel en capital financier, des relations en accords et du statut en nouvelles opportunités.

Il estime qu’Epstein a prospéré dans ce milieu car il en maîtrisait parfaitement le langage social, qui commence par un rituel particulier mais essentiel : l’échange de «points de situation de voyage». L’élite qui communiquait avec lui échangeait constamment des messages tels que : «Je viens d’arriver à New York», «Je serai à Dubaï», «Serez-vous à Tucson (ville de l’Arizona, Ndlr) le 7?». Ces détails, selon l’auteur, ne sont pas de simples politesses, mais plutôt les clés pour amorcer une série de rencontres, d’accords et de faveurs. Connaître les déplacements des autres est une forme de soft power, permettant l’échange d’opportunités et d’informations.

Toutefois, ce mouvement n’est qu’un premier pas. La véritable monnaie d’échange de cette classe est le «privilège» ou «l’information». Plus l’information publique est accessible, plus les connaissances non publiées ou confidentielles prennent de la valeur.

Les mails révèlent que plusieurs personnalités –banquiers, universitaires et initiés politiques– offraient à Epstein des informations en guise de témoignage d’intérêt pour rejoindre son réseau ou y maintenir leurs liens. En retour, Epstein leur proposait ses relations, ses arrangements, des opportunités, et parfois simplement un sentiment de proximité avec le pouvoir.

Echange capitaliste multidirectionnel

Gridaradas décrit ce processus comme un «échange capitaliste multidirectionnel» où les personnes intelligentes recherchent l’argent, les riches veulent paraître intelligents, les politiciens cherchent de nouveaux contacts, et ceux dont la réputation est ternie –comme Epstein– cherchent à redorer leur image grâce à des liens étroits avec des personnes du monde universitaire ou gouvernemental.

Ce schéma est clairement visible dans la relation triangulaire entre Epstein, l’économiste Lawrence Summers (ancien président secrétaire d’État au Trésor de l’administration Clinton et ancien président de Harvard) et son épouse, Elissa New. Ils échangeaient des invitations et des contacts universitaires contre la légitimité et l’accès à des institutions influentes que leur conférait leur présence dans son réseau.

Les mails révèlent également les dynamiques de pouvoir occultes qui régissent ce monde. Plus une personne occupe une position sociale élevée, moins elle accorde d’importance à la précision linguistique et plus elle a tendance à feindre une occupation constante ou à minimiser l’importance des informations qu’elle reçoit.

L’influence se manifeste par de petits détails, comme le format des courriels portant des signatures telles que « Envoyé de l’ordinateur du Président ».

Giridharadas souligne que l’élite qui correspond avec Epstein n’est pas unie par des valeurs politiques ou morales communes mais plutôt par un fort sentiment de loyauté de classe. Des personnalités en vue qui s’opposent publiquement à la corruption et aux inégalités recherchent secrètement ses faveurs ou ses conseils.

Parmi les exemples les plus frappants, citons le journaliste Michael Wolff, qui a conseillé Epstein sur l’amélioration de son image publique, et Kenneth Starr, qui a accusé le président Bill Clinton d’inconduite sexuelle avant de devenir l’un des défenseurs d’Epstein.

Même les rivalités politiques apparentes n’ont pas empêché la convergence d’intérêts, comme en témoignent les tentatives d’Epstein de nouer une relation avec Steve Bannon afin de soutenir ses projets de réglementation des cryptomonnaies.

L’un des exemples les plus révélateurs des méandres de cette culture est la communication d’Epstein avec Katherine Rumler, ancienne conseillère à la Maison-Blanche sous la présidence de Barack Obama, devenue par la suite directrice juridique de Goldman Sachs.

Alors que Rumler envisageait une nomination au poste de procureure générale en 2014, elle a sollicité les conseils d’Epstein concernant ses options et ce, malgré sa condamnation de 2008.

Ces mails révèlent un mélange de discussions autour d’une prime à la signature de plusieurs millions de dollars, de questions juridiques relatives aux pouvoirs d’urgence de Trump et de remarques sarcastiques sur les personnes en surpoids, un paradoxe qui illustre comment l’arrogance des élites peut être exploitée à des fins d’investissement, Goldman Sachs ayant par la suite décrit le marché des médicaments contre l’obésité comme un marché de 100 milliards de dollars.

L’auteur estime que ces courriels revêtent une importance qui dépasse la simple curiosité du public car ils offrent un aperçu exceptionnellement clair de la mentalité d’une classe dirigeante qui a longtemps œuvré en coulisses pour préserver ses privilèges et qui, par ses pratiques, a renforcé la perception du public selon laquelle les institutions servent des intérêts particuliers.

Tandis que les politiciens populistes exploitent cette colère pour attiser les divisions, les survivantes d’Epstein, par leur courage et leur engagement envers la vérité, ont présenté un contre-récit à l’apathie ambiante et porté un coup dur au système de privilèges qui a permis à Epstein et à d’autres d’échapper à leurs responsabilités.

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