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La harga est de retour

Haragas maghrébins sur le chemin ou arrivés en Espagne envoient des messages vidéos aux leurs (captures d’écrans).

Fruit amer du chômage, du mal être des jeunes et de l’instabilité politique dans des pays pris à la gorge par les crises économique et sanitaire, la harga est de retour. Elle est favorisée par une météo clémente, le dé-confinement et une meilleure organisation des passeurs pour déjouer la traque des garde-côtes.

Par Hassen Zenati

Les autorités espagnoles sont le sur le qui-vive. Depuis quelques semaines, les vidéos sur les réseaux sociaux se multiplient qui montrent des «haraga» surexcités, euphoriques, triomphants, abordant le littoral ibérique chantant et dansant, en remerciant Dieu de leur avoir épargné la mort en haute mer. De leur embarcation, ils veulent informer leurs proches restés dans le pays dans l’attente angoissée de leurs nouvelles, qu’ils ont atteint leur but «sains et saufs». «Nous sommes au bout d’une traversée de sept jours, nous sommes à jeun, mais nous sommes près de la côte (espagnole). Merci mon Dieu, maître des deux mondes», entend-on sur l’une des vidéos, sur fond de vrombissement d’un moteur hors-bord, qu’un skipper emballe pour accélérer sa course vers la côte.

Un saut qualitatif des mafias de l’immigration clandestine

Selon la presse espagnole, ce sont des centaines de «naufragés» qui ont été secourus à l’entrée des eaux territoriales du pays, pour être débarqués sur le continent dans la région de Murcia, essentiellement, où ils ont été immédiatement conduits vers des centres de rétention. Ils seraient entre huit cents et un millier – dont des femmes et des enfants – partis en groupe de la côte ouest de l’Algérie, à bord d’une trentaine d’embarcations en profitant du dé-confinement, d’une bonne météo et d’une organisation minutieuse de la traversée afin de dérouter les gardes-côtes et d’échapper à leur traque. Ils seraient arrivés à la queue-leu-leu tout au long de la journée de samedi. La plupart seraient d’origine algérienne, mais il y aurait aussi parmi eux des Marocains, des Libyens et des Subsahariens.

Pour la police espagnole, il s’agirait d’une «opération coordonnée depuis l’Algérie par les mafias de l’immigration clandestine pour tenter de submerger d’abord la marine et la gendarmerie algériennes et, plus tard, les forces de sécurité espagnoles afin que certains sans-papiers ne soient pas appréhendés à leur arrivée. C’est un saut qualitatif.» Les côtes espagnoles et italiennes restent les plus vulnérables, malgré les accords passés entre les autorités des divers pays concernés pour freiner les départs des clandestins, qui affirment fuir le chômage et la mal-vie à la recherche d’un «avenir meilleur» dans une Europe perçue toujours comme un «Eldorado», malgré ses difficultés économiques.

Outre les examens médicaux, les nouveaux arrivants doivent se soumettre à des tests anti-coronavirus et être confinés, le cas échéant, pendant quatorze jours, avant d’être remis entre les mains des autorités judiciaires pour un examen de leur situation. Beaucoup s’empresseront sans doute de demander le «droit d’asile» pour gagner du temps. Certains tenteront de rejoindre la France ou d’autres pays européens, où ils estiment avoir plus de chance d’être régularisés et de s’installer. «J’ai regardé une dernière fois ma femme et mes deux enfants. Je voulais les serrer contre moi, mais je ne l’ai pas fait, de crainte qu’ils se rendent compte que leur cachais quelque chose», témoigne un harrag algérien, âgé de 34 ans, dont le témoignage est publié par le site ‘‘Algérie-360’’. «En prenant la résolution de partir, j’étais prêt à toutes les éventualités y compris la mort en mer. Dans ma tête, tout était clair. Ça passe ou ça casse», a-t-il dit. Il affirme avoir fait partie d’un groupe de 418 harrags qui ont ainsi risqué leur vie malgré les nouvelles alarmantes sur la reprise de la pandémie en Espagne, poussant des dizaines de sans-papiers à demander leur rapatriement d’urgence par leur pays. Son père, interrogé par le même site, affirme avoir payé 600.000 dinars algériens (4.000 euros) pour avoir droit se hisser sur une barcasse poussée par un moteur de 85 chevaux.

Espagne : nouvelles mesures facilitant l’installation des immigrants

Ce rush d’immigrants clandestins, qui déferle sur la côte espagnole au risque de leur vie, coïncide avec l’adoption cette semaine par Madrid de nouvelles mesures facilitant l’installation de nouveaux immigrants, le regroupement familial pour les étrangers en séjour régulier et la régularisation d’immigrés illégaux. En déficit démographique chronique, l’Espagne fait de plus en plus appel à l’immigration pour rééquilibrer le vieillissement de sa population. En 2019, celle-ci a dépassé pour la première fois de son histoire 47 millions d’habitants recensés. Mais ce record s’explique par une vague d’immigration exceptionnelle.

Les immigrés viennent essentiellement du Maroc, de la Roumanie et du Royaume Uni, mais aussi de pays d’Amérique du sud en crise comme le Venezuela, la Colombie ou le Honduras.

L’Espagne affiche le taux de fécondité par femme le plus faible de l’Union Européenne (UE), après Malte, après avoir été dans les années 1980, en tête du podium démographique européen. Ce taux est de 1,3 enfant par femme, loin derrière la France (1,9) et proche de l’Allemagne (1,5). Il ne permet pas le renouvellement de la population. On estime 5 millions le nombre d’immigrés en situation régulière vivant actuellement en Espagne. Ils contribuent notamment, grâce à des salaires bas et des charges sociales peu élevées, à améliorer la compétitivité de l’agriculture espagnole, un des ses principaux postes d’exportation du pays.

La recrudescence de la harga est par ailleurs due à l’encouragement que les immigrants clandestins trouvent auprès de diverses associations de la société civile, estimant que l’UE manque de main d’œuvre, alors que le chômage de masse y atteint des «pic» depuis des années, tous pays confondus, à la seule exception de l’Allemagne. Plusieurs bateaux sont affrétés par ces associations pour assurer le secours des naufragés en haute mer en Méditerranée.

Selon les décomptes de diverses agences internationales plus de 20.000 harags seraient morts entre 2014 et le premier semestre 2020, lors de ces périlleuses traversées. Ces chiffres restent cependant sujets à caution dans la mesure où les collectes sont aléatoires, obéissant parfois à des considérations politiques.

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